Une histoire qui commence
Replonger dans nos premières fois, mais pas n’importe lesquelles.
Celle de son entrée au café, cette grande assemblée bruyante et sauvage,
reste mémorable. Ah ce grand souffle qui vous prend quand on y est !
Une impression de liberté, d’affranchissement avec les règles en cours.
Peu à peu on trouve sa place, on prend langue et corps au « parlement du peuple ».
Alors très vite on s’alanguit, au comptoir ou en salle, pendant des heures,
à s’inventer une vie pour maintenant ou pour plus tard.
À régler ses comptes aussi, avant que de régler la note. À moins que…
On r’met ça ?!
3 propositions d'écriture sont données : 1ère proposition - Ma 1ère fois au café Sous forme de récit l'on raconte le souvenir de sa première entrée au café. C'est une écriture intime mais dans laquelle chacun.e devient personnage en se donnant si possible un autre prénom, et par des choses inventées. Nous invitons à respecter trois temps dans le déroulé du récit : les sensations avant d'ouvrir la porte ; celles en entrant dans la salle ; enfin décrire où le personnage va s'asseoir pour rejoindre qui. Quelques contraintes supplémentaires : le café doit être nommé, d'autres personnages apparaissent dans le récit, enfin le texte doit finir par une question. 2ème proposition - Un des personnages du récit parle Par le biais d'un monologue intérieur, l'un des personnages du texte de la 1ère proposition s'adresse au personnage principal. Ce monologue est inclus dans une petite narration. Celle-ci doit s'achever sur un mouvement physique de celui ou celle qui parle. Une contrainte : ce monologue est écrit par son voisin de gauche qui devient de fait co-auteur.trice du récit initial ! Et apportera par son regard, son imaginaire, sa sensibilité, son humour etc. quelque chose qui surprendra certainement l'auteur original. 3ème proposition - 1 ans après dans ce même café 1 an après dans ce même café, l'on retrouve le personnage principal. Est-il à l'aise dans ce café ? A t'il trouvé quelques repères ? Chacun.e reprend le fil de son récit en s'attachant à engager des dialogues entre les différents protagonistes de l'histoire. Pour découvrir l'ensemble des trois propositions, jetons un œil dans les 4 cafés racontés par les 4 participant.es de ce jour : "Chez Paclos" (MICHÈLE), "Au café de la Buffa" (M.B.), "Café L'excelsior" (CHRISTINE), "Les Copains d'abord" (JEAN-PIERRE) Chaud devant !
CHEZ PACLOS
Elles se dirigèrent toutes les deux vers le café,
« Chez Paclos », en face de la gare.
Pour Michèle c’était la première fois qu’elle pénétrait dans un tel lieu.
Jamais, elle n’avait osé y aller seule. Annie était plus affranchie.
C’était l’après-midi, un jour sans collège. Tout ceci n’était pas sans arrière-pensée.
Les deux amies pensaient y apercevoir Jean-Marc, la coqueluche du collège.
Toutes les filles rêvaient de sortir avec lui.
Les yeux écarquillés, elle rentrèrent dans le bistrot. Mais point de Jean-Marc.
Elles s’assirent sur une des banquettes dans le fond du café, endroit idéal pour guetter l’idole.
Le patron vint vers elle pour leur commande :
– Annie : Un café, s’il vous plait.
– Michèle : Un lait-fraise, s’il vous plait.
Bien installées sur leur banquette, elles se mirent à papoter
tout en écoutant des chansons qu’elles sélectionnaient sur le juke-box.
Pour l’instant, les consommateurs se faisaient rare, nous étions en plein après-midi.
Plus tard, le bistrot sera rempli de travailleurs sortant de la gare.
Nos deux amies étaient toujours dans l’attente de l’idole.
Quand soudain elles le virent à l’angle de la rue.
Il avait garé sa moto sur le trottoir et se dirigeait maintenant vers le café.
– Michèle : enfin, le voilà.
– Annie : crois-tu qu’il va nous remarquer ?
Michèle et Annie s’impatientent au fond du bistrot.
Elles guettent l’arrivée de Jean-Marc, l’idole du collège.
Soudain, sa moto vrombit sur le trottoir, il se dirige vers le café.
« Salut la compagnie ! Mariette, un demi s’il te plaît ! »
Michèle ne le quitte pas des yeux, elle le détaille des pieds à la tête.
Ses pensées deviennent brouillon.
« Il est trop « James-Dean » avec son blouson de cuir éculé.
Putain, ce serait si kiffant de tourner dans un film à la Hollywood, avec lui.
Je serais cheveux au vent, mes bras autour de sa taille, la moto avalerait le bitume de la Florine,
les palmiers nous feraient une haie d’honneur. Jean-Marc, arrête de mâcher ton chewing-gum,
je n’en peux plus de voir tes dents si blanches. Ouah, ses fesses, elles sont taillées dans du muscle,
et ce jean qui le moule, un 501 délavé, Too much ! »
Michèle manque de s’évanouir, jamais un playboy ne l’avait autant retournée.
Elle observe Annie, son regard en dit long. Ses pupilles sont bien dilatées, ses cils battent la chamade.
Il est pour moi pense t’elle. Ok, Annie, tu restes plantée là, sur la banquette en Skaï.
Michèle se lève, ajuste sa robe fleurie, tend son bras sur l’épaule d’Annie,
pointe son regard menaçant et file vers le zinc, l’allure assurée.
Elle effleure Jean-Marc qui ne la remarque même pas.
Son visage devient pourpre, elle a envie de crier sa rage.
Elle fuit maladroitement vers la sortie.
Au fond d’elle-même, elle se voit l’aborder, un coude sur le zinc et lui dire :
« Hey, beau gosse, tu m’offres un demi, avec le tien, cela pourrait faire « un », non ? Ok cow-boy ? » (Jean-Pierre)
1 an plus tard…
Annie et Michèle sortent de la gare de retour du lycée et, comme à leur habitude,
vont prendre un verre « Chez Paclos » avant de rentrer à la maison.
Il n’est pas trop tard dans l’après-midi.
Elles s’installent sur une banquette près du comptoir et commandent,
un panaché pour Annie et un lait-fraise pour Michèle.
Soudain, elles aperçoivent Jean-Marc au coin de la rue.
– Michèle : Il a grossi !
– Annie : Dire que l’on a été toutes amoureuses de lui. C’était la coqueluche de ces dames.
– Michèle : Comme on a été sottes.
En rentrant dans le bistrot, Jean-Marc les salue de la main.
Elles lui répondent, mais à peine. Un peu dédaigneuses.
– Michèle : Il y a un an, il ne nous aurait pas remarquées.
– Annie : Eh oui, la roue tourne !
AU CAFÉ DE LA BUFFA
Lieu mythique, de la petite ville, le Café de la Buffa accueille principalement des étudiants.
Elle gara son solex sur le trottoir d’en face et traversa, d’un pas hésitant,
la rue encombrée pour rejoindre le grand Café. Elle poussa la porte et entra un peu plus décidée.
Tous les regards, à cet instant devaient se focaliser sur elle, mais ses jambes de plomb,
tout-à-coup la clouèrent sur place. Puis un serveur, avec son plateau surchargé, la bouscula,
la sortant de l’état d’hébétude dans lequel elle se trouvait.
Elle fit un pas, puis un autre, cherchant désespérément des yeux Babeth,
sa copine de cœur, sa complice et surtout l’instigatrice de ce projet fou « aller boire un café à la Buffa »,
parcours obligé de tout ado voulant devenir adulte !
Ce Café, fréquenté par des garçons et des filles plus âgés qu’elles, les faisait rêver
tout comme certains d’entre eux qu’elles croisaient régulièrement et qu’elles auraient aimé connaître …
Pas de Babeth à l’horizon, que faire ?
Le serveur la bouscula à nouveau « Va t’asseoir, lui ordonna-t-il, tu gênes le service ! ».
D’une nature très timide et moins délurée que son amie, elle peina à se diriger vers une table,
sentant quelques regards « goguenards », pensa-t-elle.
Puis quelqu’un la prit par les épaules et la fit asseoir à une table voisine,
avant de s’installer en face d’elle, devant un café qui fumait encore.
Elle n’osait pas lever les yeux. « Tu as l’air perdue », lui dit-il.
Elle était incapable de lui répondre et ne put que lui jeter un regard larmoyant,
hésitant encore entre partir en courant ou prendre l’air assuré
que Babeth prenait souvent mais qu’elle-même n’avait jamais réussi à imiter.
Puis elle entendit son rire, vers le fond du café ; Babeth était là !
Incrédule, elle l’aperçut attablée, avec une bande qu’elle connaissait de vue.
Alors, elle respira un bon coup et décida d’ignorer Babeth et cette cour autour d’elle.
Elle regarda bien en face le garçon assis en face d’elle, « son sauveur », pensa-t-elle,
et tout naturellement engagea la conversation avec lui.
Il était étudiant et venait souvent dans ce Café, il y avait ses habitudes et ses copains.
Alors un peu plus rassurée, elle prit le temps de s’imprégner de l’atmosphère du Café,
les odeurs de cigarettes, les effluves des cafés servis, le tintement de la caisse,
des flippers, les rires des uns, les disputes des autres, les joueurs de belotes et de tarots,
les ordres du serveur : « un jambon beurre cornichon, deux expressos, une noisette,
une blonde pression, une omelette au fromage, un Ricard, un jus d’orange,
un petit blanc, un Picon bière, un chocolat ».
Et quand le serveur vint à leur table, elle s’entendit commander d’une voix ferme « un Perrier rondelle »
la boisson que prenait toujours sa maman quand elle allait au Café.
Rêveuse elle revint à sa conversation avec Rémy.
Il était sympathique et semblait vraiment gentil.
Sans la connaître, il l’avait aidée dans cette « épreuve »et sans son soutien,
elle n’aurait pas réussi à se sentir, somme toute, à l’aise, en entrant pour la première fois dans un Café.
Quelle vie excitante quand on a quinze ans.
Et ce serait-peut-être le début d’une amitié ?
Ce matin beaucoup de clients se pressent dans le café. C’est la cohue.
Tout le monde veut commander en même temps.
Victor voit arriver une jeune fille d’un pas assuré puis tout à coup, il la voit hésiter.
Il se demande : « Mais que se passe-t-il ? Pourquoi reste-t-elle plantée là en plein milieu de la salle ?
Ne voit-elle pas qu’elle me gêne. Serait-elle perdue ? A-t-elle rendez-vous avec quelqu’un ?
Victor lui conseille de s’asseoir mais tout à coup elle se relève et se dirige vers le fond de la salle.
« Ah c’est bien cela ! Elle cherchait sa copine. Mon dieu, qu’elle est gauche !
Elle ne doit pas sortir souvent. Elle est bien jeune il est vrai ».
La jeune fille est revenue s’asseoir seule. Victor s’étonne.
« Mais que se passe-t-il ? Pourquoi s’isole-t-elle ainsi ? Son amie semble l’ignorer.
Seraient-elles fâchées ? Ou alors elle est trop timide et toute cette bande bruyante lui fait peur ».
Victor n’a guère de temps disponible mais cette jeune fille l’intrigue.
Le patron est loin à l’autre bout de la salle.
Victor vient se placer face à la jeune fille et la regarde intensément.
C’est à ce moment que Rémy arrive et s’assied à la table, souriant.
« Et si nous reprenions notre conversation ? » (Christine)
1 an plus tard…
Léna gara son solex sur le trottoir d’en face, comme à l’accoutumée, traversa la rue
en se faufilant adroitement entre les voitures et entra d’un pas léger à la Buffa.
C’était devenu son QG et elle s’y sentait comme à la maison, les contraintes familiales en moins.
« Salut Léna » lui dit Victor le serveur.
« Salut Victor » lui répondit-elle, avec un grand sourire.
« Ils sont au fond comme d’habitude » lui précisa-t-il gentiment.
Elle rejoignit la bande installée à côté des joueurs de tarot,
c’était plus tranquille que vers l’entrée où les deux flippers ajoutaient encore
au bruit ambiant des machines à café, de la caisse et des poivrots qui s’installaient souvent au bar.
« Salut la belle » dit Chris. Elle lui fit son sourire numéro trois qui marche bien en général.
Tous ses « potes » étaient là, elle se sentait si bien avec eux.
Ils avaient remplacé avantageusement Babeth. C’était tous des copains de Rémy, l’ami d’hier et de demain.
Ils l’avaient accueillie avec chaleur et sympathie.
« Alors ton partiel, ça a marché ? » demanda Maria.
« J’ai eu un sujet top, je pense m’en sortir très bien ! »
« Et si on fêtait l’anniversaire de ta venue parmi nous » dit Rémy, « ça doit faire un an maintenant ».
« Un an ? J’ai l’impression de vous avoir toujours connus. Dès que j’ai un peu de sous ,
je vous offre à tous un café, promis, juré ! »
« Au fait ton solex, il est réparé ?», dit Gaspard.
« Oui, mon frère l’a bricolé et ça a l’air de marcher »
« Tu t’inscris en quoi l’année prochaine ? Tu as décidé ? », demanda Sabrina.
« Ne fais pas comme Chris qui se cherche toujours : un an en Droit et là
c’est la Socio qui le passionne », dit Maria en rigolant.
« Non » dit Léna, « je veux faire Médecine, comme Rémy, comme ça il pourra m’aider.
On a nos petites habitudes tous les deux », déclara-t-elle, en le regardant tendrement.
CAFÉ L’EXCELSIOR
Chaque jour à la même heure Louis quitte sa maison pour rejoindre son bureau
à 15 minutes de chez lui en voiture. Il y va toujours directement.
Mais ce matin, il est en avance et se dit qu’il aimerait bien boire un café.
Il ne se sent pas très bien réveillé. Mais voilà, cela n’est pas dans ses habitudes.
Il ne va jamais au café. Il sait qu’il y en a un sur la place près de la boulangerie.
Il se gare en face et regarde la façade. Elle a été rénovée joliment dans des tons ocre et bleu.
Une terrasse avec des fauteuils en osier et des tables en fer ne demande qu’à être occupée.
Mais il est tôt et la température encore fraîche en ce printemps.
Louis avance vers la porte d’entrée qu’il pousse doucement.
À l’intérieur, une légère musique de fond et le bruit des voix.
Il se dirige vers le comptoir immense – il fait toute la longueur de la pièce.
Il hésite à s’asseoir sur un tabouret ou à prendre place à une table.
À son arrivée, quelques personnes se sont retournées et l’ont salué.
D’autres, en pleine conversation, ne l’ont absolument pas calculé.
Il se décide pour le tabouret du bar. Le patron semble jovial.
Il vient d’ailleurs le saluer avec un grand sourire :
– Bonjour Monsieur, qu’est-ce que ce sera pour vous ?
– Un expresso s’il vous plaît, répond Louis.
Sur le comptoir en zinc trône une corbeille avec des croissants.
Un peu plus loin sur un présentoir quelques œufs durs. Il hésite.
Il y a aussi les tartines beurrées. Dans la salle, les discussions vont bon train :
ici deux ouvriers qui refont le monde, là des étudiants qui échangent les derniers tuyaux
pour les devoirs à rendre. Dans un coin une jeune femme et un jeune homme chuchotent,
les mains entrelacées sur la table.
À part le patron personne ne s’est adressé à Louis et il ne connaît personne.
Son regard se perd sur les murs où sont accrochées quelques photographies de la région.
Louis admire et envie le photographe qui a su si bien mettre en valeur les paysages.
Dans ce lieu règne une certaine quiétude mais peut-être est-ce dû à l’heure matinale.
Même la lumière est douce, le soleil commence à entrer par la grande baie.
Un journal traîne sur une table, délaissé sans doute par un client.
Louis se retourne. Il a cru entendre un petit bruit. Il n’avait pas vu le petit chat noir et blanc
qui dort tout au bout du comptoir et ronronne doucement.
Il aimerait le caresser mais il n’ose pas.
Tout à coup le bar s’anime. Un petit groupe de jeunes vient d’entrer
et ils rejoignent leurs copains et s’interpellent joyeusement. Louis regarde sa montre.
Il est temps de partir s’il veut être au bureau à l’heure. Quel agréable moment pour commencer sa journée.
Un réveil tout en douceur. En sortant il jette à nouveau un œil sur la façade « Café l’Excelsior ».
Ce nom là l’interpelle. Il ne sait pourquoi. Alors dans sa tête germe une idée :
pourquoi ne viendrais-je pas tous les matins prendre ici mon café ?
Comme d’habitude, elle prend son expresso à l’Excelsior bien assise au comptoir.
« Tiens un nouveau ! Il n’a pas l’air bien réveillé. »
Elle est installée à côté du chat, Pompon, et a l’impression qu’il ne va pas aller le caresser.
« Un peu timide le bonhomme. Qu’est-ce que je fais ?
Je lui dis bonjour ou pas ? Ce n’est pas une question de politesse. »
Finalement elle se décide. Elle se retourne vers lui et lui lance un retentissant « bonjour ». (Michèle)
1 an plus tard…
Chaque matin depuis un an, Louis va prendre son café à l’Excelsior sur la grand place du village.
D’un pas décidé il pousse la porte et se dirige vers le bar.
«- Bonjour Louis ! Quelle précision : huit heures sonnent au clocher. Un café ?
– Oui bien sûr. Bonjour Pierre, merci. »
À sa table François lit le journal. Il lève la tête et salue Louis.
« Comment vas- tu Louis ? Mieux que le temps j’espère.
La neige est annoncée au Ventoux dans les prochaines heures ».
Louis soupire : « Ah zut alors, il ne manquait plus que cela.
Ma tournée m’emmène aujourd’hui au chalet ».
Pierre les interrompt : « Ah oui la météo ! Ils savent – ou pas.
Difficile de leur faire confiance, vous avez bien vu cet été : mistral, canicule, tout pour nous inquiéter ».
Louis renchérit : « C’est sûr que ce n’est pas un métier facile. Je verrai bien sinon je resterai au bureau ».
François intervient : « Sans doute la bonne solution ou tu reviendras prendre un verre avec nous
et faire une partie de cartes. Quand je pense que l’an passé nous ne nous connaissions pas.
Le temps a coulé bien vite. Nous sommes devenus inséparables ! » dit-il en riant.
Louis sourit et pense en son for intérieur qu’il a bien fait ce matin-là de s’arrêter boire un café.
Depuis il apprécie ces moments et pourrait difficilement s’en passer. Il a de nouveaux amis.
LES COPAINS D’ABORD
Étienne vient de finir sa journée scolaire.
Il n’a pas gagné beaucoup de billes aujourd’hui, toutefois,
une splendide Agathe a grossi sa collection, il la tient bien serrée dans sa main.
Son père, Guy, il ne sait pourquoi, lui a demandé ce matin, au petit déjeuner,
de venir le rejoindre au café du quartier au nom farfelu de : “Les copains d’abord”.
Étienne, du haut de ses huit ans, n’est pas à son aise, il s’imagine le café comme un lieu de débauche
où l’on boit de l’alcool, beaucoup de Ricards à en croire son père.
Étienne préfèrerait une grenadine, mais de quoi aura t’il l’air, une paille entre les dents ?!
Et puis il y a son appareil dentaire, objet de bien des railleries à l’école.
Son cartable ballant, le pas est engourdi de bien des peurs.
Il n’est plus qu’à quelques mètres de l’entrée, il n’ose s’approcher.
La devanture affiche le gain du prochain loto ainsi que celui du quartet du PMU de dimanche dernier.
Les vitres sont embuées et plutôt sales pour jeter un œil furtif.
Soudain, un homme d’une carrure impressionnante sort du café,
manque de trébucher devant les parasols verts flanqués de la publicité “Heineken”.
Certainement éméché, il traverse la rue sans même vérifier la circulation
et maudit agressivement un certain Auguste : “Tu me le paieras cher, gitan !”
Étienne est médusé, paralysé, comment papa peut-il fréquenter des gens pareils ?
Ce café lui rappelle les saloons des westerns spaghettis.
Pourquoi ce rendez-vous sans maman ?
Étienne remonte son col de veste, secoue son pantalon poussiéreux, gonfle la poitrine,
ferme les yeux et ouvre la porte du bistrot. Un monde nouveau s’ouvre à lui.
Saisi par une forte odeur de cigarettes, il manque de s’étouffer.
Il est dix-huit heures et le café est rempli d’hommes bruyants, un vrai capharnaüm,
il ne compte plus la quantité de verres qui, aussitôt saisis, sont ingurgités dans les gosiers avides.
Il discerne dans le brouhaha, le bruit d’un flipper au fond de la salle.
Un jeune, tout excité, enserre la machine des ses deux bras nerveux,
balance quelques coups de pieds et maudit le « tilt » malveillant !
« Robert, ta machine bouffe tout mon pognon, son « tilt » est aussi sensible que les yeux d’Yvonne
aux aguets des mauvais payeurs, merde, fais quelque-chose, putain ! »
Étienne a les yeux figés, tout ronds, personne ne semble l’avoir aperçu.
Où diable son père peut-il être dans cette cohue ?
Il n’ose faire un pas, il hésite même à faire demi-tour.
Pour autant, cette atmosphère des grands l’attire, il voudrait bien grandir spontanément et aborder le zinc avec fierté,
commander un demi et savourer les chopes du percolateur qui dégueulent de mousse
et dont, Yvonne, d’un geste assuré, ratisse avec sa palette de bois, l’écume triomphante.
« Petit, ne reste pas planté là, tu dois être le fils de Guy, non ?
Il m’a prévenu de ton passage, il finit la partie de boules dans la cour de derrière.
Dis-moi, qu’est-ce que tu prendras : Un lait fraise ça te dit ? »
Étienne va au Café où il doit rejoindre son père.
Plus le Café se rapproche, plus il ralentit son allure… et puis ça y est, il est devant la porte,
alors il entre et se trouve submergé par le bruit, presque pire que dans la cour de récréation.
Il sourit à cette idée, qu’est-ce qu’il y serait bien. Mais il doit attendre son père ici, alors !
Il s’approche du comptoir près de la caisse.
Là une dame lui fait un grand sourire, « Entre, entre ! Tu dois être Étienne le fils de Guy ?
Qu’est-ce que tu veux, un chocolat ? Une grenadine ? »
Mme Yvonne, attendrie, voit ce petit bonhomme de huit ans
qui voudrait se fondre dans un trou de souris.
Il est tout mignon Étienne, comment Guy a pu avoir un rejeton si tendre ?
Elle est sûre qu’il ne s’en occupe pas vraiment.
Quelle idée il a eu de le faire venir ici, dans ce bruit, ces odeurs de cigarettes et d’alcool.
Elle ne peut pas quitter la caisse pour autant, à cette heure-ci,
avec tout ce monde, en plein coup de feu.
Elle entend une petite voix, timide, lui demander « Une grenadine, s’il vous plaît Madame. »
Elle est touchée, il est si mignon et poli en plus.
Pourquoi ces petits enfants deviennent-ils en grandissant des gros « mal élevés ».
Encore un mystère de la vie !
Étienne a réussi à se hisser sur le haut tabouret devant la dame si gentille
et commence à siroter sa grenadine.
Il a une paille, le bonheur ! Son père n’arrive toujours pas.
Mme Yvonne pense que Guy exagère vraiment de laisser son petit ainsi au Café,
quelle indifférence !
Encore un peu et elle le prendrait dans ses bras pour le protéger.
Mais qu’est-ce qu’il fait ce Guy !
Il le sait que le petit est là à l’attendre et elle ne peut pas quitter sa caisse.
Elle lui ressert une grenadine, mais elle le sent tendu et nerveux.
Elle voudrait le rassurer, lui parler doucement pour apaiser son inquiétude,
bien sûr que son père va très vite arriver lui dira-t-elle,
sachant qu’il est dans la cour de derrière, en train de finir sa partie de pétanque…
Ah les hommes !
Puis n’y tenant plus, elle contourne le comptoir et vient le prendre dans ses bras,
lui caresse les cheveux et lui dit de ne pas s’inquiéter,
comme elle le faisait à cet autre petit bonhomme qu’elle a perdu si tôt… (M.B.)
1 an plus tard…
Étienne a grandi, pas beaucoup, mais tout de même, un duvet de moustache le chatouille.
Son père l’a invité pour la deuxième fois, au bistrot « Les copains d’abord ».
Il se souvient bien de la première fois, bien timide, avec sa grenadine,
attendant son père, perché sur un tabouret.
Aujourd’hui, un an a passé, il rentre au bistrot avec son père, main dans la main,
il est tout fier et aborde un grand sourire, l’antre des grands ne lui fait plus peur.
– Fiston, je suis fier de toi.
– Ah bon, pourquoi ?
– Tu joues mieux aux boules que tu nous apportes de bonnes notes de l’école.
– Maman me gronde beaucoup tu sais, elle n’est pas très douée en math elle aussi, mais elle sait bien compter.
– Ce qui est important, fiston, c’est de savoir compter jusqu’à treize et faire les additions de tête.
Avec ça, tu gagneras tous les concours !
– Papa, je sais compter bien au-delà de treize, tu sais.
– Peut-être, mais ne t’encombre pas la « têtoune » de trop de chiffres. Reste concentré sur le cochonnet.
Tu es content de faire une partie, on va leur mettre une raclée, important, si l’on ne veut pas payer l’apéro !
– Papa, je bois de la grenadine, je te rappelle.
– Je sais « maniak », grenadine ou pastis, le tout c’est de trinquer à l’amitié, les copains d’abord non ?
– Tu sais, des copains, j’en ai aussi au collège, on n’est pas obligé de trinquer, vois-tu ?
– Ouais, l’école sans picole, un concept de rond-de-cuir…
– Papa, enfin !
– Je plaisante, canaille, tu vois, ce moment de la journée entre le travail et la maison est un espace de liberté,
ça n’a pas de prix !
– Papa, la liberté c’est bien, mais c’est toujours pour les grands !
– Ne t’en fais pas, elle viendra trop vite, en attendant, sort les boules que je t’ai offertes l’an dernier
et allons taper du fer. Tu pointes bien et moi j’élimine les méchants !
Allez viens, on va faire une équipe de dingue ! Rentrons dans l’arène.