Rythme des pas et de l’intime
En ce mois de septembre où l’on s’attarde encore pour croire à un été sans fin, les cliquetis des cartables de toutes parts se font entendre, c’est la rentrée ! Pied de nez conjuratoire nous choisissons alors comme matière thématique à cet atelier de reprise, le mot « entrer » en l’associant de suite au mot « sortir ». Ces 2 verbes permettaient d’appréhender une action en mouvement, d’investir des espaces que l’on découvre et que l’on quitte. Espaces de destinées géographiques mais aussi intimes.
La 1ère proposition d’écriture était la suivante : quelqu’un doit se rendre quelque part, et par un fait inattendu se retrouve dans un endroit inconnu mais palpitant qu’il/elle devra néanmoins se résoudre à quitter. Voyons comment s’en sont emparée Hélène, Marie et Marie-Christine :
« C’était un rendez-vous d’une importance capitale : un entretien d’embauche ! Enfin ! Il ne fallait pas le manquer, surtout pas. Il avait toutes ses chances. Impatient, il fait les cent pas sur le quai du métro. La rame arrive, il monte dans le wagon et trouve une place assise. En fait, il y a peu de monde, ce qui l’étonne à cette heure-ci.
Il laisse défiler les stations, les unes après les autres, sans trop se préoccuper des noms annoncés. Il sait qu’il doit descendre au terminus.
Il a retrouvé une certaine sérénité, de l’assurance. Il va l’avoir, cette place. Elle est pour lui. Il s’offre même le luxe d’observer les gens qui montent et qui descendent au gré des stations. Il est un peu étonné. Les gens sont plutôt bien habillés, ils sont calmes et polis. Les stations sont belles, décorées. Il y a de la musique. Une musique douce. Les lumières sont presque tamisées. Il se laisse bercer par le mouvement de la rame. Au vu du quartier où il se rend, il ne s’attendait pas à cela.
Il se dit que s’il doit faire ce trajet tous les jours pour aller travailler, il a bien de la chance. Il ne faut pas critiquer les transports en commun à tort et à travers. Prendre le métro peut être quelque chose de très agréable. Il va même arriver détendu à son rendez-vous ! Inespéré ! Le bien-être de ce lieu est vraiment communicatif !
Enfin, le terminus est annoncé. Il ne comprend pas le nom de la station. Il se précipite sur le quai et là, horreur ! Il a pris le métro dans le mauvais sens ! Il va rater son rendez-vous, c’est sûr ! Il faut qu’il fasse quelque chose car c’est presque l’heure déjà. À sa montre, il est neuf heures moins dix, son rendez-vous est à neuf heures. Il sort son portable pour tenter un appel. Et là, il se rend compte que l’heure indiquée par son portable n’est pas la même ! Il a avancé d’une heure au lieu de reculer d’une heure : c’était en effet au cours de la nuit dernière le passage à l’heure d’hiver… » MARIE-CHRISTINE
« À CORPS PERDUS
Il avait saisi son sac. L’avait rempli hâtivement, et, sans réfléchir attrapant de sa main fébrile les premiers vêtements qui s’offraient à lui, il se remémorait l’appel téléphonique.
Et sa voix lointaine qui avait simplement murmuré dans un souffle « Rejoins moi vite. Dès que tu peux ». Puis s’était éteinte.
Le trajet vers la gare lui avait paru plus long que d’habitude. Il marchait pourtant à la même allure que tous ces vendredi soir qui l’amenaient là-bas. Vers Elle. Il se laissait traverser par les regards des passants. Des regards qui semblaient lire en lui. Il avait l’impression que tous ceux qu’il croisait avaient déjà compris quelque chose que lui sentait à peine. Qu’il commençait seulement à entendre frémir sous la peau.
Le train était bondé. Il y avait là tout le grand monde, petit peuple des villes. Des gens de la rue, des familles, et des solitaires, des couleurs et des bruits, des sans toit, sans lois, sans droits, mêlés, entremêlés là à tous ceux qui avaient eu le droit de faire ce voyage ou qui en avaient subi le poids. Comme lui.
Lui il était là, entre deux, au creux de cet entre deux. Entre l’envie de partir loin et la peur de le faire. Sur cette passerelle de ferraille, bruyante et fuyante que font les rails. Il avait envie de se laisser bercer sans rien attendre de plus, sans rien espérer d’autre qu’un sommeil d’amnésie.
Il n’entendit pas l’annonce.
Il n’entendit pas le choc.
Il n’entendit pas les cris.
Lorsqu’il se réveilla et ouvrit les yeux avec conscience, il vit la foule des gens, dont il allait devoir faire partie, descendre du train, longer la voie, et marcher vers une lumière lointaine, petit point jaune et faible à travers l’écran noir peuplé d’arbres, de branches, d’ombres et d’hommes qui marchent.
C’est la musique d’un violon qui le traverse, entrant par une oreille et agrippant son corps. Il reconnaît les notes, la mélodie. Il a envie d’accélérer le pas, de dépasser les groupes de gens dont les murmures remplis de questions ne l’interpellent même plus.
Là, maintenant, il n’a plus qu’une hâte, pousser la porte de ce hangar de briques et de bois, perdu en rase campagne, que les chants tziganes traversent. Et, il veut par dessus tout entendre les voix. Celles qui lui parleront, lui rappelleront tout ce qui a fait de lui l’homme qu’il est aujourd’hui.
Et tout, tout est là, à la hauteur de son attente, de son besoin, de son désir.
La danse chaloupée de son archet.
L’ondulation fragile de son corps.
Le frappé sensuel de ses pieds nus.
La jupe à grelots virevoltant au rythme de l’accordéon qui l’accompagne.
Tout dans cette musicienne raconte tant de choses de son passé, de son avenir peut-être. Tout est là, présent, comme une évidence.
Il s’avance vers elle, tout sourire des lèvres jusqu’aux yeux, en esquissant quelques pas de danses.
Son téléphone vibra.
Il l’attrapa. Lut le message. « Fais vite, on ne peut plus attendre » » HÉLÉNE D.
« PARTIR C’EST VIVRE UN PEU
Les bagages sont prêts, Lucas inspecte une dernière fois l’appartement. Une crainte diffuse l’envahit alors, une appréhension plutôt, à l’idée d’abandonner ce cocon qu’il s’est construit méticuleusement, avec ses livres, sa musique, son confort. Il a choisi de partir en Inde s’occuper pendant deux mois d’un hôpital pour éléphants en fin de vie. Un monde donc, entre son quotidien si convenu de vétérinaire, dans une petite ville tranquille et ce pays lointain qu’il s’apprête à découvrir et à aimer avec enthousiasme.
Il chasse ses craintes et se sent prêt à se lancer dans l’aventure. Une heure plus tard, il est dans le train qui l’emporte vers Paris, première étape du périple : d’abord y retrouver son ami Éric pour une soirée tranquille, puis demain à l’aube, le grand départ au Terminal 2 de Roissy Charles-de-Gaulle….
La foule des jours de grands départs donne à la Gare de Lyon une ambiance de kermesse de fin d’année : on se croise, on se bouscule, on s’ignore, on se sourit, on s’énerve un peu, et le croisement entre les voyageurs qui arrivent et ceux qui partent se fait dans une atmosphère bon enfant. Lucas réussit à repérer Éric dans cette masse en mouvement et à le rejoindre. Amis d’enfance, amis de toujours, ils peuvent rester des mois sans nouvelle et se retrouver comme s’ils s’étaient quittés la veille.
– Ça va mon Lulu, dit Éric en étreignant Lucas
– Tu as devant toi l’aventurier de l’année
– Toujours pas de place pour moi dans tes bagages
– Seulement si tu connais le nom de tous les éléphants dont je dois m’occuper, tu as jusqu’à demain 6h pour me donner ta réponse
– Un drôle de challenge que tu m’imposes, mais tu sais qu’avec Google on sait tout, on voit tout, on entend tout, donc on file à la maison pour que je prépare mes bagages…. A part ça, je nous ai prévu un petit dîner à la terrasse de notre « cantine » favorite.
Lucas et Éric se connaissent depuis la « maternelle » de la rue des Abbesses. Ils sont tous deux des enfants de la « Butte » (la Butte Montmartre). Mais autant l’un est bosseur, sérieux et raisonnable, l’autre est impulsif, aventurier et fantaisiste. À dix-neuf ans Éric a lâché ami, parents et études, pour faire le tour du monde en stop, alors que Lucas raisonnable, comme d’habitude, bûchait sa prépa pour le concours de Véto. Ce fut une période très dure car, comme dans toute relation fusionnelle, sans son alter ego Lucas se sentait complètement perdu. Au retour d’Éric, Lucas s’était installé dans ce métier qui lui plaisait avec un confort financier et déjà des habitudes de « vieux garçon ». L’aventure décidément ça ne l’attirait pas. Éric, lui, bouillonnait de projets qui n’intéressaient pas vraiment son ami. Malgré tout, leur amitié perdurait et ils ne manquaient aucune occasion de se retrouver.
Et puis tout-à-coup, il y a quatre mois, Lucas annonce à Éric qu’il va dans un trou perdu des Indes, s’occuper pendant deux mois d’un hôpital pour éléphants. Il avouera très vite qu’il n’a pas compris pourquoi sur une impulsion irrépressible, il a répondu à cette annonce, mais avec son sens du devoir, il ne peut pas faire machine arrière. Si Éric est ravi pour lui, il s’inquiète un peu aussi, sans rien lui dire : « Saura-t-il gérer les situations inattendues auxquelles il va être confronté ? Pourquoi pas après tout ? Curieux hasard de la vie, c’est maintenant que je commence à m’assagir, que je suis prêt à fonder une famille que Lucas « le raisonnable » part à l’aventure ! »
Et voilà, c’est parti pour 16h de vol, avec un changement à New Delhi. Il y atterrit « on time » comme l’annonce l’hôtesse. Mais le temps pour transférer les bagages entre les deux avions s’éternise et Lucas se rend compte qu’il va louper sa correspondance, ce que lui confirme avec un charmant sourire l’employé de l’aéroport. Et pour faire bonne mesure, le prochain vol est prévu demain à la même heure, mais qu’il soit tranquille ses bagages eux sont bien partis et sa réservation est automatiquement reportée sur le vol du lendemain. Une chambre lui a été réservée au Hilton dont voici l’adresse.
Le voilà donc avec uniquement ses cartes de crédits et ses papiers d’identités. Il fait une chaleur déprimante, il rêve d’une douche et d’un peu de calme, pendant qu’il fait la queue pour prendre un taxi, « comme tout le monde ! Pense-t-il, mais qu’aurait fait Éric dans cette situation ? »
Enfin installé dans une confortable voiture climatisée, il se dit que finalement cette étape inopinée va lui permettre de découvrir la capitale de l’Inde et peut-être de comprendre un peu la mentalité du pays, préparation à sa mission prochaine à l’Hôpital. Heureusement il parle correctement l’anglais et n’a aucun mal à faire comprendre au chauffeur qu’il souhaite visiter la ville. De larges et belles avenues bordées de bâtiments officiels racontant l’histoire de New-Delhi, des parcs et allées ombragées, il n’en revient pas, lui qui avait une image de l’Inde, avec des mendiants pour symbole et des Yogis et des vaches sacrées à tous les coins de rue ! Mais peu à peu justement la population change et la voiture se retrouve tout-à-coup entourée d’une foule dense et compacte qui va et vient sans même regarder la voiture. Lucas sent la panique le gagner, mais la tranquille assurance de son chauffeur le rassure : « Keep cool, c’est l’heure de la prière et la voiture se trouve près d’une grande mosquée, il faut attendre un peu, c’est tout. »
Enfin le moteur ronronne à nouveau, ils traversent un grand carrefour et se retrouvent devant l’hôpital principal de New Delhi. De façon un peu irréfléchie, il décide d’y entrer, pour « voir ». Le taxi, lui, a tout son temps, preuve que cette notion peut être différente d’un continent à un autre… Il déambule dans l’hôpital et voit toute la misère du monde défiler sous ses yeux ahuris et même effrayés, en un condensé d’images percutantes. Il est bouleversé et se sent en état de choc. À un moment quelqu’un lui touche le bras, un homme en blouse blanche qui semble-t-il, lui a déjà demandé à plusieurs reprises « Puis-je vous aider ? », « M’aider, pense-t-il, mais c’est moi qui voudrais aider toutes ces personnes ». La parole lui revient. Avec beaucoup d’humilité Lucas se présente et raconte, sa petite vie tranquille en France, les éléphants, l’avion, et demande comment un vétérinaire pourrait faire pour soulager la détresse qui suinte tout autour de lui. « Bienvenue dans notre Hôpital lui souhaite avec un large sourire son interlocuteur, ici il y aura toujours une place pour des gens comme vous ».
Des heures plus tard, Lucas rentre à l’hôtel épuisé, mais satisfait et peut-être apaisé, d’avoir pu, avec ses petits moyens, alléger la souffrance de quelques uns, à défaut de tous. Et allongé sur son lit, il entend une petite voix intérieure susurrer :
– « D’abord je vais faire mon remplacement à l’hôpital des éléphants, comme je m’y suis engagé. »
– « Et après ? Après je rentre en France liquider mon cabinet, bye bye les toutous et les minous ! Je largue ce boulot alimentaire qui ne m’apporte plus aucune satisfaction. Et je reviens ici dans les six mois rejoindre l’équipe de cet hôpital »
– « C’est vraiment ce que je veux ? Oui, il y a tellement à faire ici, c’est décidé ! »
– « Je vais surtout appeler Éric, partager avec lui ce que je ressens ce soir, ce désir de rencontrer les autres, de m’y intéresser, d’essayer de les aider… »
– « Une nouvelle vie qui commence », pense-t-il euphorique ! » MARIE B.
La 2nde proposition invitait à l’écriture d’un monologue intérieur où l’on devait sentir un tiraillement entre plusieurs états. Le réel-l’irréel, le présent-le rêve, le désespoir-l’espoir… Nous avons suggéré à chacun.e d’imaginer ce monologue pour le personnage du texte relatif à la 1ère proposition. Marie l’ayant inclus dans son récit précédent « écoutons » les personnages de Marie-Christine et Hélène :
« Comment ai-je pu me tromper ? Je suis idiot, ou quoi ? J’habite à Paris depuis dix ans et je ne suis pas fichu de prendre le métro !
C’est un acte manqué, j’en suis sûr à présent ! Heureusement, j’ai deux heures d’avance pour réfléchir. Je vais appeler mon psy et lui demander son avis. Je suis sûr qu’il abondera dans mon sens : je ne dois pas aller à ce rendez-vous, cette place n’est pas faite pour moi, tout compte fait. Mon inconscient me l’a clairement dit. J’étais si bien quand je lui tournais le dos !
C’est un signe ! Je vais plutôt profiter de ce beau quartier et me trouver un petit bar sympa où je serai bien pour prendre un café. Mon psy va encore dire que je manque de confiance en moi et que je ne sais pas faire face aux responsabilité, mais tant pis ! » MARIE-CHRISTINE
« Mes pieds. Ses pieds. En rythme, en battements. Lointains encore. Face à face. La cadence. Pas enlacés. Pas en corps enlacés. Nos pieds ensemble. Je voudrais m’approcher. Son regard posé sur moi. Frissons. Regards d’avenir. Le temps va manquer.
Manquer de temps. C’est drôle, c’est fou. Le temps de la valse. La valse à mille temps…. et s’offre encore le temps. Un mot un chant, un pas, une danse.
Ne plus quitter ce lieu. Ces poètes. Ces saltimbanques, ces semeurs, passeurs aux semelles de vent.
Suspendre le vol. L’envol des heures. Attendre.
Passer sa vie, ma vie à attendre. Laisser passer.
Plus envie, en vrai. Je ne veux plus attendre. Je veux…. Non, je voudrais…
Oui mamie, je sais, on ne dit pas je veux comme un caprice, on dit, nous, le roi dit « nous voulons ».
Tendre la main. Là à tendre nos mains l’un vers l’autre. Nous. Voilà, c’est du Nous que je veux aujourd’hui. A deux mains. Et de la musique en corps. Nous. Libérés et libres. Que plus jamais cela ne s’arrête. Pas le silence. Pas le silence des notes. Là, possédés par le tempo. Valse, valsons, valsez, tourbillon…. Je perds pied. Perds mon temps. Me perds tout le temps….à attendre. » HÉLÉNE D.
Voilà pour cette rentrée dont on est finalement sorti pour entrer dans l’automne et toutes les autres joyeusetés présentes et à venir !