Pénétrer le regard
Brumes, évanescences, surgissements…de quoi se ravir d’écrire…à partir des photographies de Lenny Vidal qui ont fait l’objet d’une belle exposition à la Médiathèque de Caromb ! L’atelier d’écriture s’est construit en lien avec ces images mais aussi avec l’esprit qui s’en dégage, cette quête du sauvage, de l’insaisissable, cet éphémère saisi.
La 1ère proposition invitait chacun.e à interroger une image, à livrer les sensations ainsi provoquées.
Un peu lassée du temps qui passe, le désir de m’étendre dans l’herbe de ce bois me submerge… Mon corps fatigué s’étend puis s’apaise.
Je respire cet air purificateur. Mes yeux éblouis par la lumière incandescente que filtre le feuillage sourient.
Les arbres qui m’entourent se dressent vers le ciel et me protègent de leur ombre.
Mon cœur chavire dans un tournoiement magique. Les troncs fiers et puissants s’élèvent me montrant le chemin.
Les vibrations subtiles des feuilles m’incitent à découvrir au plus profond de moi, une énergie retrouvée. JOËLLE
SOMBRE CLAIRIÈRELe regard s’attache tout de suite à un arbre-réverbère. Son globe éclaire tout le tableau. Tout semble venir de là, le tronc-poteau est plus épais et penche vers le centre. Les autres fûts convergent en des axes tous dirigés vers ce lustre qui diffuse une sorte de halo blanchâtre, irréel.
Est-ce une retouche Photoshop ou est-ce bien réel ?
Ces fûts noirs attirent vers le haut puis l’œil descend sur des fonds brouillardeux, percés encore par de la lumière plus blafarde. Des entortillements de fins rameaux contrebalancent la rectitude élancée des fûts et du tronc-réverbère, l’habillent joliment.
Le sol apparaît, charbonneux, envahi de feuilles mortes, l’anthracite brille, reflétant la lumière du globe lumineux.
Et tout enfin, je distingue le personnage, je m’en approche, c’est une ombre qui part, qui s’en va, il est de dos, sa silhouette est en fuite, ses mains ne portent pas de fusil.
Un prisonnier évadé ? Un promeneur égaré ? JO AILES
LE TABLEAU
Où suis je ?
Quel est ce décor ?
Cet arbre décharné, mort, que s’est-il passé ?
Est-ce le passage de la lave d’un volcan, un incendie, de toutes façons quelque chose de lugubre ?
Il étire ses branches vers le ciel pour trouver un secours, une aide. La clarté a de la peine à l’atteindre. A-t-il beaucoup souffert et personne n’est arrivé à temps pour lui apporter un réconfort ? Il semble avoir tout perdu .
Ou peut-être est-ce tout simplement un paysage d’hiver que l’objectif a su saisir. JOSIANE
UN PHARE, TELLE UNE VIGIE
Est-ce un paysage breton : la mer toujours qui mugit à travers ses ressacs, qui se renforce pour escalader les falaises et monter, monter toujours plus haut, comme à l’assaut du phare.
Est-ce un paysage irlandais : une côte déchiquetée, avec ses creux et ses pleins où l’on croit voir dans chaque tâche blanche, un mouton égaré et la mer bien sûr, en contrebas qui lèche à l’infini les rochers affleurants.
Est-ce un paysage provençal : le Ventoux alors, donc pas de mer, pas de vagues, mais des embruns pourtant et cette ligne de crête aride qui capture le soleil et l’emporte tout là haut vers ce mât, tel un emblème. Comme la folie de l’homme qui veut toucher les étoiles et briller comme le soleil ! MARIE B
Puis, quelques questions inspirées de notre rencontre avec Lenny ont été livrées au groupe : « à quoi bon saisir l’insaisissable », « où vont les nuages », quelle empreinte laisse la brume pou qui la traverse » « qu’est-ce que l’on se cache sans cesse à soi-même ou autres ».
Il le savait, rien ne les arrêterait et, dans cette nuit profonde, ses chances de s’en sortir étaient certainement très faibles, surtout depuis qu’il avait heurté cette racine. Il avait perdu sa chaussure et sa cheville le faisaient énormément souffrir. Sa course s’était ralentie. La brume avait recouvert la montagne. La forêt n’était plus qu’un labyrinthe dans lequel il avait perdu ses repères habituels.
À quoi bon vouloir saisir l’insaisissable ? Les fantômes qui le poursuivaient en voulaient-ils à son âme, à cette part ni noire, ni blanche, ni ombre, ni lumière ?
Il le savait, ses empreintes ne s’effaceraient pas, elles resteraient une trace indélébile, à jamais gravée derrière ses pas que, ni le vent, ni la pluie, ni même la neige ne pourraient effacer.
Malgré tout, il se disait qu’il ne fallait pas douter, que quelque chose enfoui au plus profond de lui-même allait le conforter dans sa volonté de ne rien lâcher, d’avancer coûte que coûte.
Il entendait leurs chiens, leurs cris, leurs jurons. Et c’est là, qu’au détour d’une clairière perdue dans le brouillard, il découvrit un abri, un abri de feuilles, de branches, un abri de chasseurs probablement. Sans y réfléchir vraiment, il prit alors la décision de s’y cacher, d’attendre là, tapis sous les branches en espérant que ses poursuivants, trop aveuglés par la haine et le ressentiment ne le verraient pas. C’était un pari osé mais il en prit le risque.
Il avait toujours réussi à accepter ces deux facettes de lui-même. Cette complexité l’avait même nourrie. Alors pourquoi abandonner sa liberté ? L’heure n’était pas encore venue d’y renoncer. Il n’avait nullement l’envie de s’enfermer dans cette fange binaire et simpliste, une fange dans laquelle ses poursuivants cherchaient à l’enfermer.
Quels fantômes se cachent derrière nos âmes grises, derrière ces nuages qui enserrent notre paysage intérieur? Quels secrets enfouis cherchons-nous à cacher sous cette brume qui parfois recouvre notre quotidien? Ombre ou lumière, noir ou blanc, enfoui ou exposé, secret ou partagé : peut-on véritablement trancher ? Parfois, la beauté d’un paysage peut cacher une œuvre malfaisante, sournoise et souterraine, comme en chacun de nous lorsque résonnent ensemble le vrai et le faux, le bon et le mauvais, le glorieux et l’inavouable. Notre part lumineuse prend-elle vraiment plus de place que la part d’ombre ?
La complexité humaine n’aurait-elle pas d’égal que la beauté, la transcendance et l’inspiration humaines ?
Où vont ces nuages ? Vers quels horizons emportent-ils nos secrets enfouis ? JEAN-LUC
Enfin place à la brume que photographie tant Lenny Vidal. Son intensité à l’image, sa présence mystérieuse ne pouvaient que la rendre personnage principal.
LA BRUME
Je suis douce comme la ouate et tendre comme la plume de l’oiseau
Je suis opaque comme un paysage que le ciel noir envahit
Je suis grande comme la montagne et dangereuse comme la vague d’un tsunami
Je suis sinueuse comme le ruisseau qui court dans la plaine
Je suis légère comme le nuage qui s’étire dans le ciel couleur de laine
Je suis mystérieuse comme les cairns faits des pierres des chemins
Je suis rieuse et mutine comme les jeux des gamins
Je suis belle comme les trilles que chantent les sopranos
Je suis la brume, légère, opaque, mystérieuse, dangereuse, belle et mutine. MARIE B.
Quand on est deux, toi et moi, nous, enlianés dans la brume
Quelles empreintes saisir dans nos regards
ou sous les doigts fébriles de nos paupières embrumées ?
Un nuage ? Un filament ? Fenêtre ouverte sur nos rêves ?
Lumières, rayons flous de la canopée ?
Tout l’insaisissable
Asseyons nous, attendons, apprenons
accrochons nos pupilles là où le vent nous mène
Nouons les fils du temps en lacets serrés
Dansons immobiles et vivants
Oublions les fous et chantons les insaisissables
Notes sur la partition de nos vagues à l’âme en vol
Être là, êtres là ensemble
Saisir les insatiables
Traces, tourments ou tristesses, Trésors et tendresses
Des frêles toiles
Epaules arborescentes à l’écoute de nos
Utopies fragiles
eXposées, explosées et rebelles sous nos semelles de vent
Dansons enlacés aux écorces terrestres
Armons nous en armées d’amants amarrés comme un
Navire à l’encre céleste
Saisissant l’insaisissable tempête des flammes
Laissons les, laissons nous aller
Accrochés aux firmaments des brumes
Branches
Rugueuses, ramages
Unis et là là seulement
Mélangeons nos errances aux
Espérances fragiles à l’horizon de nos silences embués HÉLÈNE
Meilleurs vœux à toutes et tous !
Rendez-vous en début d’année pour le prochain compte-rendu de l’atelier d’écriture.